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Poétique et Littérature
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3 août 2008

La littérature à travers les siècles

Parler de « littérature française » pose un double problème : celui du fait littéraire et celui de la langue française.
Or, le terme « littérature » avec l'acception que nous lui donnons aujourd'hui ne s'applique qu'avec la plus mauvaise grâce aux pratiques antérieures au XIXe siècle.

Au Moyen Âge, ces pratiques étaient essentiellement anonymes, issues de la tradition (ce n'est pas un individu singulier, mais toute la communauté qui se chante dans les vers des jongleurs) et marquées par le pouvoir de la musique (elles étaient non seulement chantées mais surtout ordonnées par le souci d'une harmonie cosmique autant que collective).

Du XVe au XVIIIe siècle, la « littérature » émergea lentement : la notion d'auteur se constitua en liaison avec le développement de l'individu ; l'innovation fut recherchée, en liaison avec la nouvelle ordonnance des temps (non plus le passé de la tradition, mais l'autoconstitution de la société en son avenir) ; ce fut la fin de la musique, ramenée d'abord à une simple technique instrumentale, puis soumise à l'ordre du regard (on ne chante plus l'ordre du monde, on veut « donner à voir » les états de la nature et de la société) ; le statut d'écrivain s'institutionnalisa et se professionnalisa, en liaison avec le développement de l'État et des académies ; les contenus psychologiques ressortirent au discours des passions et aux manières de faire collectives, en liaison avec le développement du sujet réflexif de la philosophie ou des arts de civilité, par lesquels on tentait de conférer une norme à des existences qu'on ne sentait plus soumises à un ordre reçu de tout temps ; enfin apparut une ouverture sur le langage lui-même, dans la mesure où celui-ci s'était dissocié de la voix et n'apparaissait plus que comme un code avec lequel on pouvait jouer.

L'autre point concerne la langue française elle-même : comme toutes les autres langues dites « vulgaires », elle ne conquit laborieusement ses privilèges qu'en gagnant sur le latin, langue savante et langue de l'Église. Le français, langue de cour, devint aussi langue de l'administration royale et participa à l'émergence de la nation française.

La « littérature française » ne trouva vraiment son premier point d'ancrage qu'au moment où l'État parvint à s'imposer comme le nouveau garant de l'ordre social et de l'unité nationale à la fin du XVIIe siècle, et sa stature définitive qu'après la Révolution française, moment où elle entra à l'Université.

La littérature française connut donc une lente émergence, puis se constitua et acquit une relative autonomie à partir du XIXe siècle, avant d'être plus récemment remise en cause.

Au Moyen Âge:


La littérature se compose de textes écrits en latin ou dans les langues vulgaires. En France, c'est au XIIIe siècle que la langue vulgaire l'emporta nettement sur le latin dans l'ensemble des styles littéraires.

On peut distinguer une littérature " sérieuse " et une littérature d'imagination.


La littérature " sérieuse " regroupe les traités scientifiques, théologiques et philosophiques (catégorie revivifiée aux XIIe et XIIIe siècles par la redécouverte d'Aristote et de ses commentateurs arabes, et qui revêtit souvent la forme de poèmes didactiques), l'histoire (qui s'exprima en langue vulgaire pour la première fois en Normandie, au XIIe siècle), l'hagiographie (récits de vies de saints), certaines formes de poésie (poésie liturgique : séquences, tropes ; poésie de lamentation : les planctus) et de théâtre (les Passions).

La littérature d'imagination avait disparu avec l'effondrement du monde antique ; le Xe siècle la réinventa. Elle comprend en premier lieu la poésie lyrique, en latin (en vers classiques ou dans une création originale du Moyen Âge, les vers rythmiques) ou dans les langues vulgaires ; elle est représentée par les troubadours occitans, apparus au XIe siècle (ils influencèrent l'Italien Dante Alighieri), les trouvères français, les Minnesänger allemands, et les grands poètes lyriques des XIVe et XVe siècles : Guillaume de Machaut, Alain Chartier, Christine de Pisan, François Villon.
La littérature médiévale est marquée par son rapport étroit à la mémoire, à la voix (elle était souvent déclamée) et à la musique.

Le roman connut trois grandes sources d'inspiration : l'imitation de l'Antiquité (Roman de Thèbes), l'allégorie animale et parodique (Roman de Renart), ou courtoise (Roman de la Rose), la " matière de Bretagne " (Chrestien de Troyes, Marie de France).
Il se distingue du genre de la chanson de geste (Chanson de Roland) et des grandes épopées nationales telles que les eddas scandinaves, les sagas islandaises, le Kalévala finlandais, le Beowulf anglais, les Mabinogion gallois ou le Nibelungenlied allemand.
C'est dans l'Italie du XIVe siècle qu'apparut un nouvel humanisme (Boccace, Pétrarque), qui portait en germe la littérature de la Renaissance.

Du XIIe au XVe siècle:


La langue française entra en littérature en même temps que le pouvoir s'unifiait dans la royauté.
Les Serments de Strasbourg (842) furent la première légitimation de la « langue vulgaire » ; la Séquence de sainte Eulalie (IXe siècle) en fut le premier texte « littéraire ». La naissance d'une littérature nationale s'accompagna aussi d'une conscience de l'histoire et d'une différenciation des genres : ce fut une « invention de la perspective » – contemporaine de celle de la perspective picturale – dans la mesure où les passés s'échelonnaient désormais selon un ordre disjoint du présent, alors que la Tradition ramassait auparavant tout le passé dans le présent.

Aux XIIe et XIIIe siècles:


Deux grands genres versifiés célébraient l'ordre féodal : l'épopée, avec la chanson de geste, dont le chef-d'œuvre est la Chanson de Roland, et la littérature courtoise : « fin amor » des troubadours et trouvères, romans antiques ou bretons (Tristan et Iseut), textes de Chrétien de Troyes.
En contrepoint se développa une littérature satirique que l'on peut dire « anticourtoise » (Roman de Renart, fabliaux).

Le XIIIe siècle fut celui de la naissance d'une poésie personnelle (Rutebeuf), et surtout de la rapide expansion de la prose, qui apparut comme le discours de la vérité une et de l'histoire
(Aucassin et Nicolette, Chroniques de Jean de Joinville).

Les XIVe et XVe siècles:


Secoués par la guerre de Cent Ans et le marasme économique, évoluèrent vers davantage encore de spécification : le théâtre distingua nettement ses domaines, religieux (miracles et mystères) et profane (sotties, farces) ; l'histoire (Froissart, Commynes) sortit du légendaire ; la poésie se codifia strictement (Arts de rhétorique) et une inventivité spécifique naquit au sein des contraintes formelles (les grands rhétoriqueurs).
Un nouveau goût pour le récit et pour l'instabilité du sujet témoigna d'un autre rapport au temps : le lyrisme ne fut plus fondé sur le chant, comme encore chez Guillaume de Machaut, mais sur le sentiment et le « moi » (Eustache Deschamps, Charles d'Orléans), et l'écrit apparut comme une résistance à la mort (François Villon).

Le XVIe siècle:


Par ses convulsions mêmes (guerres d'Italie, guerres de Religion), le XVIe siècle apparaît en quête d'identité et de définition. L'ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) consacra le français comme langue nationale, et l'imprimerie permit la diffusion de l'écrit.
La quête était pourtant ambiguë : la Renaissance était tout autant un renouveau de l'esprit qu'un retour à la fois à la littéralité de la Bible, Écriture divine, et aux lettres plus « humaines » de l'Antiquité ; ce fut l'humanisme.
La division de l'Église manifesta vite la relativité de ce retour à l'homme et à la lettre : la Réforme, plaçant l'homme sous le regard immédiat de Dieu, se distinguait radicalement de l'humanisme, enthousiaste et totalisant.
Gargantua et Pantagruel, les deux voraces géants de Rabelais, symbolisent le premier humanisme optimiste.
Avec les grands rhétoriqueurs, puis Clément Marot, la littérature devint une exaltation, souvent ludique, de la langue.
Peu à peu, cependant, l'humanisme se fit sérieux et savant. Après les poètes de l'école lyonnaise, platoniciens et pétrarquistes (Maurice Scève, Louise Labé), ceux de la Pléiade, autour de Pierre de Ronsard et de Joachim du Bellay, travaillèrent à une « défense et illustration de la langue française » ; la littérature s'engagea dans la lutte religieuse (Agrippa d'Aubigné) ; le théâtre chercha sa voie entre tradition et innovation (Étienne Jodelle, Robert Garnier).

Dans ce double mouvement de retour et de création, le XVIe siècle resituait l'homme dans un univers dont, depuis la révolution copernicienne, il n'était plus le centre. Montaigne, dans ses Essais, se fit l'écho de cette inquiétude de l'« humaine condition ».

Le XVIIe siècle:


Ce fut dans l'éclat du Roi-Soleil que s'édifia le mythe du « Grand Siècle ». Mais le XVIIe siècle, en réalité, fut double : s'y distinguent deux grandes périodes, le « siècle de Louis XIII » et le « siècle de Louis XIV » (1661-1715), apogée de la monarchie absolue ; deux esthétiques s'y combattirent : le baroque, marqué par le goût de l'instabilité et de l'illusion, et le classicisme, quête de l'équilibre par la raison.
Mais la coexistence des deux courants demeura sensible du début à la fin du siècle.
La fondation de l'Académie française (1635) consacra l'effort de codification et d'épuration de la langue française en même temps qu'elle affirmait le contrôle de l'État sur la production littéraire.
Le siècle de Louis XIII fut caractérisé par un foisonnement d'œuvres et de formes : poésie « classique » (Malherbe) ou « baroque » (Théophile de Viau, Saint-Amant), roman « d'amour » (Honoré d'Urfé, MLLe de Scudéry) ou « comique » (Sorel, Scarron), pièces « à machines » ou pastorales. Les libertins prônaient alors la liberté des mœurs et de la pensée, avant que Descartes ne vît dans la raison, et Pascal, dans la foi les seuls instruments de la connaissance.
Le classicisme, avec ses exigences de vraisemblance et de bienséance, parut l'emporter sous Louis XIV. Le théâtre, désormais rigoureusement « réglé », en fit triompher l'esthétique.
Mais Corneille donna aussi un chef-d'œuvre baroque (l'Illusion comique, 1636) ; Molière eut recours, à l'occasion, au mélange des genres et aux artifices, et un « je ne sais quoi » troublait la rigueur de la tragédie racinienne.
La poésie de La Fontaine voulait « plaire » autant qu'« instruire », l'éloquence de Bossuet s'emportait en visions baroques, et le roman d'analyse (MMe de La Fayette) s'inventait, au moment où séduisait le merveilleux des Contes de Perrault.

L'équilibre se rompit pourtant à la fin du règne de Louis XIV, avec la querelle des Anciens et des Modernes. Bayle et Fontenelle achevèrent de mettre en doute l'idée de tradition et promurent, de façon définitive,
l'idée d'une littérature nationale de grande valeur.

Le XVIIIe siècle:


Le siècle des Lumières fut celui de la mort des rois : les Lumières étaient celles de la raison opposée à l'obscurantisme des despotes.
Ce fut le triomphe du Philosophe et « l'invention de la Liberté » comme Idée, dans l'ordre politique, moral, social et économique. Il n'y eut pourtant pas une doctrine des Lumières, pas plus qu'il ne conviendrait d'opposer la « raison » au « sentiment ».
Si l'optimisme des philosophes s'éteignit vers 1775, alors que s'achevait la période de prospérité économique, le courant sensible traversa en réalité tout le siècle, de Manon Lescaut de l'abbé Prévost à Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre.
Il paraît donc plus juste de distinguer trois générations de philosophes.
- La première, d'origine aristocratique et symbolisée par Montesquieu, ne remettait pas en cause le système monarchique, mais visait à le tempérer.
Pourtant, dès les Lettres persanes (1721), l'écrivain dut ruser avec la censure.
Le déguisement, ressort dramatique du théâtre de Marivaux, devint une nécessité de la pensée.
Il justifia aussi, tout au long du siècle, l'existence d'une littérature parallèle, libertine (Choderlos de Laclos) ou « noire » (Sade).
- La deuxième génération des philosophes fut « bourgeoise » : représentée par Voltaire et Diderot, elle était en fait dominée par la grande entreprise collective du siècle, l'Encyclopédie, bilan des connaissances et véhicule d'un matérialisme progressiste.
Diderot, maître d'œuvre de l'ouvrage avec D'Alembert, fut aussi l'initiateur d'une théorie esthétique qui, avec le « drame bourgeois » notamment, devait garantir une représentation adéquate de la réalité.
- Rousseau incarna à lui seul la troisième génération, plus ouvertement politique et révolutionnaire : le Contrat social (1762) proposa un modèle démocratique.
Mais ses Confessions marquèrent aussi la promotion d'un « moi » assumé.
Et ce fut l'individu, seul contre un ordre social injuste, que Beaumarchais mit en scène dans le sulfureux Mariage de Figaro (1788).
Le XVIIIe siècle ne fit pas la part belle aux poètes. Mais les discours des révolutionnaires (Robespierre, Saint-Just) lancèrent
les derniers feux des Lumières.

Au début du XIXe siècle:


Une nouvelle conception esthétique déferle sur l'Europe ; ses écrivains, ses artistes, ses musiciens vont se ranger sous la bannière romantique.
Avec des nuances selon les cultures nationales, les mêmes thèmes se retrouvent dans leurs drames, leurs poèmes, leurs tableaux, leurs symphonies...
Tous partagent la même attitude : ils repoussent le classicisme et refusent tout compromis avec le rationalisme. Leur émotion embrasse la nature et leur révolte les soutient face à la société. En privilégiant l'imagination et la sensibilité, les romantiques ont placé dans leur sillage toute l'esthétique moderne.
La littérature, la musique et les beaux-arts européens s'ouvrirent, dès la fin du XVIIIe siècle, à une sensibilité nouvelle qui exaltait la vision subjective de l'individu.
En Angleterre, le rêve, la nostalgie et l'aspiration mystique inspirèrent deux précurseurs du romantisme, le Suisse Johann Heinrich Füssli (1741-1825), qui se fixa à Londres, et son ami William Blake (1757-1827), poète et peintre visionnaire.
Poètes, musiciens, peintres, sculpteurs et architectes cherchèrent, dans l'imagination et la sensibilité, les voies d'une connaissance nouvelle, qui devait permettre au « moi » d'atteindre une vision globale du monde et de la nature.

Le XIXe siècle:


Après la Révolution, le XIXe siècle fut celui des révolutions (1830, 1848) et des changements de régime, avant que la France, entrant dans l'ère industrielle et moderne, ne s'engageât définitivement dans la voie républicaine.
Mais ce fut dans un climat nostalgique du mythe napoléonien que s'éveillèrent les « enfants du siècle » en proie au « vague des passions » (Chateaubriand).
Ce « mal du siècle » fut l'expression originelle du courant littéraire qui irrigua toute la période, le romantisme : réaction lyrique au classicisme et à ses règles, il mettait au premier plan un « moi » déchiré.

La génération de 1830, celle de l'exaltation du romantisme, fut d'abord celle des poètes : Alfred de Musset, Alfred de Vigny, Victor Hugo. Puis le roman, « miroir promené » le long du siècle, fit l'analyse lucide des passions (Stendhal) et des « illusions perdues » (Balzac).
Victor Hugo (1802-1885), géant prolifique dans tous les genres, est devenu le symbole de ce romantisme, engageant son œuvre dans le siècle comme une mission inspirée.

En 1857, la censure du second Empire condamna pour immoralité Madame Bovary et les Fleurs du mal, deux œuvres phares qui témoignent du radicalisme d'une double orientation esthétique. Pour Gustave Flaubert, « rien n'est beau que le vrai » – c'est le réalisme – ; pour Charles Baudelaire, le beau est « bizarre » – c'est la poésie de la vie moderne.
Le réalisme s'exacerba dans les années 1880 en un naturalisme « scientifique » : Zola en systématisa l'expérience dans la série des Rougon-Macquart, tandis que Maupassant s'échappait vers le fantastique.
Au moment où les Parnassiens codifiaient la poésie, Baudelaire inaugurait la lignée des poètes modernes, « maudits », que le poète soit « voyant » (Rimbaud) ou « saturnien » (Verlaine).
La fin du siècle fut antinaturaliste.
La poésie, après s'être confusément cherchée dans la « décadence » (Jules Laforgue), trouva l'idéalisme d'une quête absolue : Stéphane Mallarmé fut la figure de proue du mouvement symboliste – qui gagna le théâtre (Maurice Maeterlinck) jusqu'à la provocation d'Ubu (Alfred Jarry). L'affaire Dreyfus, quant à elle, posa la question de l'engagement de l'écrivain (Zola : J'accuse, 1898).
Le romantisme fut un mouvement littéraire plus qu'une école, même si la volonté pédagogique n'en était pas absente.
La principale caractéristique de ce mouvement fut d'être transnational et européen, puisqu'il est représenté en Angleterre, en Allemagne, en France, mais aussi en Italie (Alessandro Manzoni, Giacomo Leopardi), en Espagne (José Zorilla y Moral) et jusque dans les pays scandinaves (Oehlenschläger, Stagnelius).
Pour la première fois depuis l'humanisme de la Renaissance, un mouvement intellectuel et artistique dépassait le cadre national, mais cette fois pour des raisons très différentes : en effet, l'unité de l'humanisme se fondait sur la participation à un même univers, celui de la chrétienté, et à un même savoir, issu de la redécouverte des œuvres antiques.
Rien de tel pour le romantisme, qui se fonda sur l'unité d'un rejet : celui d'un monde « moderne », inspiré par de douteuses valeurs politiques et commerciales, et pour lequel il fallait inventer une nouvelle mythologie ou une autre culture.
Les humanistes étaient des savants ; les romantiques se voulurent des prophètes.
En ce sens, ils s'opposaient aussi aux écrivains des Lumières, qui se voulaient philosophes, même si l'on ne peut réduire cette opposition à celle du « rationalisme triomphant » et de la « sensibilité introspective et individualiste », dans la mesure où la pensée des Lumières accordait déjà une valeur nouvelle à l'individu et de l'importance à l'émotion et à l'occulte. L'originalité du romantisme tient surtout à ce qu'il recherchait des solutions politiques et non sociales (résultat de la Révolution française), et qu'il donnait à l'écriture et à l'esthétique une position centrale, jusque dans le « style de vie » (comme manière de se différencier des « bourgeois »).
Malgré cette allure transnationale, les romantismes anglais, allemand et français se différencient nettement.
En France, Schlegel, en même temps qu'il lançait le mot « romantique », inventait son repoussoir, le « classique ». Ce fut bien cette opposition au « classicisme » qui anima les débuts du romantisme en France.
Lancé en France par Mme de Staël (De l'Allemagne, 1813), le terme « romantique » servit essentiellement à la jeune génération de poètes et d'écrivains à affirmer leur désir d'être de leur temps et non plus tournés vers le passé et les traditions, même si Chateaubriand, Lamartine et Vigny ont pu soutenir, au contraire de Stendhal ou de Sainte-Beuve, la tradition monarchique française. Le « romanticisme » de Stendhal (Racine et Shakespeare, 1823) ou la « modernité » de Baudelaire (le Peintre de la vie moderne, 1863) n'affirmèrent pas autre chose que cette volonté d'écrire au présent sur des sujets du présent.
Si les romantismes allemands et anglais furent relativement limités dans le temps, le romantisme français paraît s'étendre depuis Chateaubriand jusqu'à Baudelaire et s'insinuer plus largement dans les courants littéraires du temps.
L'acmé se situa néanmoins entre 1820 (Lamartine, les Méditations) et 1843 (date de l'échec des Burgraves, de Hugo), avec comme tournant la « bataille d'Hernani » (1830).
L'originalité du romantisme français tint d'une part à la position centrale du théâtre dans les revendications des écrivains (la préface de Cromwell, 1827, où Hugo prônait le rejet des règles de la tragédie classique et l'union du grotesque et du sublime dans le drame, fut tenue pour le manifeste du romantisme) ; d'autre part, au sentiment d'ennui forcé (qui imprégna jusqu'à Baudelaire) et au dandysme noir affichant à la fois mélancolie et ironie. Le « mal du siècle » semblait le lot de la génération romantique ; il trouvait sa source dans l'impression qu'éprouvaient ses membres d'être des laissés-pour-compte de l'aventure révolutionnaire, puis napoléonienne.
Plus encore que Hugo, qui, à force de tout dominer, sut se couler sans mal dans les méandres de son époque, ce fut Musset qui représenta de façon exemplaire le romantisme, au moins parce qu'il s'en révéla le moins dupe (la Confession d'un enfant du siècle, 1835-1836 ; Lettres de Dupuis et Cotonet, 1836) et qu'il laissa l'œuvre théâtrale de loin la plus originale. Il n'en reste pas moins qu'à l'instar des romantismes allemands et anglais le romantisme français reposa surtout sur la valorisation du mouvement lui-même (de là, le choix du « sublime » comme figure exemplaire, et non plus la « beauté » classique : le spectacle « sublime » provoque à la fois angoisse et jouissance ; il est ce qui met en mouvement et tire l'âme ou l'imagination hors de ses limites, jusqu'à l'infini de la nature).
Si l'attention à la nature, surtout chez les romantiques français, tourna au panthéisme et à un lyrisme parfois ampoulé, elle fut aussi l'occasion de donner à la nature et au psychisme individuel, présentés comme opposés, un fondement commun, autour duquel gravitent tous les systèmes depuis le XIXe siècle : la vie (le terme même de « biologie », science du vivant, fut lancé par Lamarck dans les premières années du XIXe siècle), dans la mesure où la vie s'accorde exemplairement à la valorisation du mouvement.

Le XXe siècle:


Après les divisions de la fin du siècle, les Expositions universelles (1878, 1889, 1900) permirent à la République de « montrer son plus beau profil ». La littérature voulut trouver une nouvelle spiritualité (Paul Claudel), ou s'évader dans le rêve (Alain-Fournier, le Grand Meaulnes).
C'est sur les fondements de ce refus du réalisme, entériné par l'aventure intellectuelle et poétique de Paul Valéry, que s'inscrivit la vraie rupture esthétique, spectaculaire : la poésie de Guillaume Apollinaire libéra la versification et les rythmes ; le roman, avec André Gide et surtout Marcel Proust, réfléchit sa propre création, « recherche » ici guidée par les « données immédiates de la conscience » (Henri Bergson).
La Première Guerre mondiale précipita une nouvelle perception du rapport entre l'art et la vie. Le mouvement Dada et son humour nihiliste en fut le premier témoignage, avant la grande expérience du surréalisme (premier Manifeste, 1924) : « changer la vie » par le rêve fut bien, au départ, une entreprise collective (autour d'André Breton, Paul Eluard, Louis Aragon, Robert Desnos, Salvador Dalí).
Le roman ne connut pas de tels bouleversements : genre proliférant dans l'entre-deux-guerres (roman-fleuve), il célébra à sa manière la vie libre et violente (Colette, Jean Giono), avant de devenir le lieu d'une interrogation morale et religieuse (Georges Bernanos, François Mauriac), puis existentielle et politique (André Malraux).
Mais c'est le Voyage au bout de la nuit (Louis Ferdinand Céline, 1932) qui créa la fracture esthétique et philosophique.
La Seconde Guerre mondiale, si elle n'interrompit pas la production, dramatique en particulier (Jean Giraudoux, Jean-Paul Sartreentraîna la littérature dans l'«ère du soupçon».
Le soupçon fut d'abord philosophique ; les existentialistes fondèrent sur l'expérience de l'absurde une morale : « engagée » pour Sartre, « révoltée » pour Camus (l'Étranger, 1942). Mais le théâtre des années cinquante, résolument désengagé, mit en scène un absurde métaphysique (Eugène Ionesco, Samuel Beckett, Jean Genet).
Dans les années soixante, le « nouveau roman » (Alain Robbe-Grillet, Michel Butor, Nathalie Sarraute, Claude Simon), aventure optique, parfois doublée d'une expérience cinématographique, voulut rompre avec les techniques traditionnelles.
À partir de cette suspicion, c'est peut-être, pourtant, un « nouveau romanesque » que fonde aujourd'hui une œuvre comme celle de Marguerite Duras.
La poésie, exaltation du haut langage avec Saint-John Perse, est ensuite devenue, loin des mouvements et des écoles, « mode de connaissance » avec René Char, et nouvelle tragédie de l'être avec Antonin Artaud.
Dès lors, elle est une quête individuelle et ascétique : des « choses » (Francis Ponge) ou de ce « lointain intérieur » (Henri Michaux) que l'époque obscurcit de ses images tonitruantes.
Alors que la vague structuraliste née en particulier autour des écrivains et des critiques du groupe Tel Quel (Philippe Sollers, Tzvetan Todorov, Julia Kristeva) transforme le champ littéraire en un vaste terrain d'expérimentation, à la fin des années soixante s'amorce une sorte de « révolution » dont Belle du seigneur (1968), d'Albert Cohen, pourrait être l'emblème.
On retrouvait là un romantisme à la fois poétique et épique, d'une sensualité presque exacerbée.
Ce double mouvement – d'une part, recherche quasi clinique des formes ; d'autre part, retour à une certaine tradition – marque la littérature des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Si la poésie se fait plus discrète, malgré sa diversité (Jaccottet, Du Bouchet, Dupin, Bonnefoy), et si le théâtre redécouvre les classiques ou privilégie les valeurs sûres (François Billetdoux), à l'exception de quelques nouveaux venus (Jean-Claude Grumberg, Valère Novarina), le roman témoigne d'un grand foisonnement.
Tant dans les thématiques que dans les techniques narratives, où se télescopent les influences les plus diverses (du surréalisme au nouveau roman, en passant par les jeux savants de l'Oulipo), l'heure est au métissage, à l'ouverture : retour à l'histoire dans des fresques chatoyantes, désenclavement du roman policier, qui renouvelle le genre romanesque dans son ensemble, découverte d'auteurs étrangers qui ont choisi le français comme langue littéraire (l'Argentin Hector Bianciotti, naturalisé français, le Tchèque Milan Kundera, le Marocain Tahar Ben Jelloun).
Des Antilles nombreux sont les écrivains qui donnent ses lettres de noblesse à la « créolité ». Voyages d'écrivains nomades (Jean-Marie Le Clézio, Olivier Rolin), chroniques couleur sépia (Patrick Modiano, Jean Rouaud) ou dérives urbaines sur rythmes syncopés (Philippe Djian) élèvent le roman à un art du questionnement.

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