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Poétique et Littérature
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3 août 2008

La structure matérielle du vers français

Le compte des syllabes dans les vers


En ancien français le compte des syllabes était rigoureusement conforme à la prononciation ; mais à mesure que la prononciation a changé, la question s'est compliquée : tantôt en effet, on a conservé la manière de compter originaire et traditionnelle, tantôt on s'est réglé d'après la prononciation contemporaine, tantôt en fin on a adopté une troisième manière de compter.

La versification française est syllabique, c'est-à-dire qu'elle est fondée, comme l'indique son nom, sur le nombre des syllabes.
Elle diffère de la versification métrique, qui repose sur la quantité des syllabes longues et brèves (vers grecs et latins), et de la versification rythmique, qui dépend de la place des syllabes accentuées ou atones (vers anglais ou allemands).

- Du dix-septième siècle jusqu'à la fin du dix-neuvième, le nombre de syllabes du ver est le plus souvent un nombre pair : douze, dix, huit, six, quatre, deux..

- Les vers impairs de sept, de cinq, de trois syllabes, et même d'une syllabe, ont cependant été parfois utilisés à toutes les époques littéraires.

- Il faut chercher les vers impairs de treize, de onze et neuf syllabes dans la poésie de la fin du XIXe siècle (chez VerIaine par exemple).

Deux difficultés arrêtent et trompent parfois les débutants dans le compte des syllabes.
Ces difficultés portent sur l'e caduc (ou dit muet) et sur la diphtongue (voir Diérèses et synérèses )

L'e caduc ou dit muet :


En ancien français, l'e dit muet n'était jamais réellement muet, avec le temps, cette voyelle a cessé de se faire entendre à certaines places dans la prononciation courante, tout dépend de sa position et de ce qui l'entoure.

- L'e caduc compte toujours comme syllabe, quand il est placé entre deux consonnes :

Que l'aigle connaît seul et peut seul approcher (Victor Hugo)

- Il s'élide devant un mot commençant par une voyelle ou un h muet :

Comme il souffle et mugit, l'ouragan, dans les tours ! (Emile Deschamps)

Ce vers se prononce et se compte comme s'il y avait
Com' il souffl' et mugit, l'ouragan, dans les tours !

- L'e caduc, même suivi des consonnes s, nt, ne compte pas à la fin du vers:

Je marche sans trouver de bras qui me secourent (Victor Hugo)

Des rochers, des torrents, et ces douces images, (Lamartine)

- Dans le corps du vers, l'e caduc, suivi des consonnes s, nt, compte cependant toujours pour une syllabe, même devant une voyelle ou un h muet

Et les jaunes rayons que le couchant ramène (Sainte-Beuve)

- Dans les troisièmes personnes des verbes en -aient, l'e étant considéré comme nul parce que les lettres ent ne se prononcent jamais, ces mots peuvent entrer dans le corps du vers, même devant une consonne

Ils fuyaient, le désert dévorait le cortège. (Hugo)


- À ces finales on joint d'ordinaire, comptant pour une syllabe : soient, voient et croient.
- L'e caduc final précédé d'une voyelle, comme dans les mots vie, Marie, rue, année, visée, soie, marée, doit toujours s'élider. Il ne peut donc être mis dans le corps d'un vers que si le mot suivant commence par une voyelle

Toute une armée ainsi dans la nuit se perdait. (Hugo)


Cette règle date de Malherbe, car au XVIe siècle Ronsard et la Pléiade ne craignaient pas de dire, en comptant l'e caduc

Marie, qui voudrait votre nom retourner
Il trouverait aimer. Aimez-moi donc Marie...

- Placé à l'intérieur d'un mot, entre une voyelle et une consonne, l'e caduc ne compte pas. Par exemple dans les mots en uement, iement (dévouement, reniement etc.), et dans les futurs des verbes du premier groupe de conjugaisons, comme priera, tuerai, crierons, louerez:

Je ne t'envierai pas ce beau titre d'honneur. (Corneille)


diérèses et synérèses:


Quand plusieurs voyelles se suivent dans un mot et forment ou non diphtongue, il est essentiel de savoir si elles forment une ou deux syllabes, car la régularité et la diction du poème en dépend.
En ancien français, la question est très simple pour qui connaît l'histoire de la langue ; elle est inextricable pour qui l'ignore. on peut distinguer deux cas :

a) - les deux voyelles constituent une diphtongue qui représente une seule voyelle latine ou une voyelle et une consonne : elle ne font qu'une syllabe :
La synérèse est la prononciation en une syllabe de deux voyelles contiguës

b) - les deux voyelles représentent deux voyelles latines, qui étaient séparées en latin par une consonne.
La diérèse est la prononciation en deux syllabes de deux voyelles contiguës

Cette distinction peut être justifiée par l'étymologie latine. C'est ainsi que bien, venant de bene, est synérétique, c'est-à-dire compte habituellement pour une seule syllabe (mais il y a des exceptions), alors que lien, venant de ligamen, et pria, venant de precavit, sont en principe diérétiques, c'est-à-dire comptent habituellement deux syllabes.
Mais c'est ici le versificateur qui décide en dernière instance, non les règles de la prononciation ni l'étymologie.

la césure:


Dans les anciens vers français, la césure est une " pause " dans l'intérieur du vers, venant à la place fixe après une syllabe obligatoirement accentuée. Cette pause ne doit pas être artificielle : la syntaxe doit la demander ou tout au moins la permettre.
Elle divise le vers en deux parties, que l'on nomme " hémistiches ", mais qui n'ont pas nécessairement le même nombre de syllabes. Séparant ces deux parties comme la pause qui vient après le vers le sépare su suivant. Elle est généralement un peu plus faible car seule la pause de fin de vers permet la reprise de la respiration.

- Dans l'alexandrin ou vers de douze syllabes, on doit, en principe, observer un repos au milieu du vers, c'est-à-dire entre la sixième et la septième syllabe. Chaque moitié du vers se nomme hémistiche :
La fille de Minos | et de Pasiphaé. (Racine)
Dans ce vers comme dans presque tous les vers, le repos de la césure est faible, et n'est marqué par aucune ponctuation, mais il n'en est pas moins sensible, grâce à l'accent qui porte sur la dernière syllabe du mot Minos.
L'alexandrin classique a donc deux accents fixes (sur la sixième et la douzième syllabe), mais il en a d'autres qui sont mobiles, et qui partagent le plus souvent chaque hémistiche en deux parties.
D'après cela, on peut établir cette règle que tout alexandrin a quatre accents : les deux premiers fixes, ceux de la césure et de la rime ; les deux autres mobiles et tombant, selon que le veut l'harmonie, sur telle ou telle syllabe dont ils accentueront l'effet :

Le jour n'est pas plus PUR que le fond de mon CŒUR. (Racine)
Oui, je te loue ô CIEL de ta persévérance. (Racine)


Dans ce dernier vers, on voit que le second hémistiche n'a pas d'accent mobile. C'est ainsi que les classiques eux-mêmes étaient amenés à varier les repos de l'alexandrin, pour éviter la monotonie.

Rome, à qui vient ton bras d'immoler mon amant. (Corneille)


Ce besoin a conduit les poètes à l'affaiblissement de la césure et à la coupe ternaire, que Corneille a employée un des premiers dans un beau vers célèbre

Toujours aimer, toujours souffrir, toujours mourir.


Victor Hugo et les Romantiques ont aussi utilisé cette coupe :

La boue aux pieds la honte au front la haine au cœur. (Hugo)

Il vit un œil grand ouvert dans les ténèbres. (Hugo)

Tantôt légers tantôt boiteux toujours pieds nus. (Musset)


Il est à remarquer que s'ils ont ainsi donné au vers deux césures et supprimé la césure classique du sixième pied ils n'ont pas osé permettre à un mot d'être à cheval sur elle.
Mais d'autres, après lui, ont eu plus de hardiesse. On a vu les Parnassiens mettre à la sixième place des mots atones, des mots " proclitiques " (prépositions, articles, adjectifs possessifs), naturellement rattachés au mot suivant ; puis on y voit apparaître un e caduc non élidé. Enfin, l'emploi d'un long mot au milieu du vers supprime complètement la coupe.

Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants. (Rimbaud)


- La césure du vers de onze syllabes (ou endécasyllable ) se place habituellement après la cinquième syllabe :

Les sylves légers s'en vont dans la nuit brune. (Banville)


- La césure du vers de dix syllabes ou décasyllabe se place soit après la quatrième syllabe :

Tout va sous terre et rentre dans le jeu (Valéry),


soit après la cinquième syllabe :

La vierge mignonne endort en chantant
Son petit Jésus sur la paille fraîche.
Elle resplendit au fond de la crèche,
Comme un grand lis d'or au bord d'un étang. (Vicaire)


- Au-dessous du vers de dix syllabes, les vers n'ont plus de césure fixe, mais seulement des accents mobiles.

l'élision et l'hiatus:


Définitions :
Quand un mot terminé par une voyelle précède immédiatement dans l'intérieur d'un vers un mot commençant par une voyelle, il se produit soit une élision, soit un hiatus.

On dit qu'il y a élision lorsque la première des deux voyelles est supprimée, tant dans la prononciation que dans le compte des syllabes, et hiatus lorsqu'elles se prononcent et comptent toutes deux.

Ces deux phénomènes ne sont pas propres à la versification, mais se produisent de la même manière dans la langue parlée. L'élision est même généralement notée par une apostrophe dans l'orthographe usuelle lorsqu'il s'agit de mots auxiliaires : article, pronom, préposition, conjonction.

Quant à l'hiatus, il était en ancien français asmis dans les vers avec la même liberté que dans la prose. Peu à peu, l'art devenant plus délicat, on fut choqué par certaines rencontres de voyelles, aussi les poètes de la Pléiade n'admirent-ils l'hiatus qu'entre des monosyllabes inaccentuées et une voyelle initiale.

L'hiatus est le choc de deux voyelles, l'une finale, l'autre initiale. Ce choc est surtout désagréable lorsqu'une voyelle se rencontre avec elle-même, comme dans " il alla à Amiens " ; on l'évite, pour cette raison, en poésie et même dans la prose.

L'hiatus n'est formellement proscrit que depuis Malherbe; tous les poètes l'admettaient avant lui, et le plus souvent fort heureusement

Un doux nenni avec un doux sourire... (MAROT)

Plus ne suis ce que j'ai été. (Clément MAROT)


On ne considère pas comme hiatus la rencontre d'une voyelle avec un mot commençant par un h aspiré, et l'on peut par conséquent dire la hache, le holà, au hasard.

Il n'y a pas d'hiatus lorsque deux voyelles se rencontrent par l'élision d'un e caduc.

L'épée au flanc, l'oeil clos, la main encore émue. (Hugo)

Une coupable joie et des fêtes étranges. (Baudelaire)


En revanche, il y a des terminaisons qui, sans former en fait hiatus avec la voyelle du mot suivant, n'en sont pas moins aussi désagréables que de vrais hiatus. Il en est ainsi dans le choc de nasales, comme par exemple dans : Plaignez-vous en encor (Corneille). Et en cent noeuds retords (Ronsard). On prescrit donc de les éviter.
En somme, l'hiatus devrait être écarté uniquement quand il blesse l'oreille, car il existe dans le corps de la plupart des mots, et il est extraordinaire qu'on ne puisse dire il y a, quand on pourra dire camélia ou Iliade, et tu es, tu as, quand on pourra dire tuer, tuas. Bien plus, grâce à la règle énoncée plus haut qui ne compte pas l'hiatus dans l'élision, on pourra dire tuée en voiture, et non pas tué en duel, d'autre part, beaucoup de rencontres de mots où la liaison ne se fait pas font hiatus pour l'oreille, comme dans papier à lettres, par exemple. Cependant, la règle était si forte, même pour les Romantiques, que Hugo et Vigny ont écrit nud devant une voyelle, et seul Musset a osé écrire en s'amusant : "Ah! folle que tu es! " Cette règle s'est, comme tant d'autres, assouplie dans la poésie moderne.

l'enjambement et le rejet:


L'enjambement se produit lorsqu'une partie de phrase, de faible étendue (trois mots environ), est placée à la fin d'un vers mais se rattache à la phrase dont l'essentiel est contenu dans le vers suivant:

Gloire à Sémiramis la fatale! Elle mit
Sur ses palais nos fleurs sans nombre où l'air frémit (Voltaire).


Le rejet se produit lorsqu'une partie de phrase, de faible étendue (trois mots environ), est placée au début d'un vers mais se rattache à la phrase dont l'essentiel est contenu dans le vers précédent :
Voici, en guise d'exemple les célèbres rejets de l'Aveugle d'André Chénier:

C'est ainsi qu'achevait l'aveugle en soupirant,
Et près des bois marchait, faible, et sur une pierre
S'asseyait. Trois pasteurs, enfants de cette terre,
Le suivaient, accourus aux abois turbulents
Des molosses, gardiens de leurs troupeaux bêlants.


Les Romantiques s'emparèrent de ces processus, et Victor Hugo écrit dans Hernani :

Serait-ce déjà lui? c'est bien à l'escalier
Dérobé.
Il écrit de même :
Dans mon ailée habite un cordier patriarche,
Vieux qui fait bruyamment tourner sa roue, et marche
À reculons, son chanvre autour des reins tordu. (Lettre.)

Musset écrit aussi :

Le spectacle fini. la charmante inconnue
Se leva; le cou blanc, l'épaule demi-nue
Se voilèrent; la main rentra dans le manchon.
Et, lorsque je la vis au seuil de sa maison
S'enfuir, je m'aperçus que je l'avais suivie.
(La Soirée perdue)

On trouve dans Baudelaire:

Trois mille six cents fois par heure, la Seconde
Chuchote : Souviens-toi!...

Et Mallarmé dit:

De l'éternel azur la sereine ironie
Accable, belle indolemment comme les fleurs...


Ces enjambements ou rejets disloquent le vers mais on voit que les mots en rejet par exemple sont précisément les plus expressifs et ceux qui doivent être mis en valeur par l'action qu'ils expriment.
Mais lorsque Musset s'amusait à écrire dans Les Marrons du feu :

Si c'est alors qu'on peut la laisser, comme un vieux
Soulier
il recherchait surtout un effet comique.
Banville va jusqu'à couper un mot à la fin du vers:
Les demoiselles chez Ozy
Menées
Ne doivent plus songer aux hy-
Ménées.


l ' inversion


Il est certain qu'une inversion habile permet beaucoup à l'harmonie du vers, et la prose elle-même a des inversions.
Quand Musset écrit:

De paresse amoureuse et de langueur voilée,

il écrit un beau vers onduleux, aux molles inflexions, en rejetant à la rime le mot essentiel, et il donne une délicate impression féminine que n'exprimerait jamais la phrase toute banale : Voilée de langueur et de paresse amoureuse.
On n'a jamais cessé de transposer les mots, et souvent pour les effets les plus heureux, notamment dans les cas suivants :

1. Le sujet du verbe :
Je fuis, ainsi le veut la fortune ennemie. (Racine)

2. Le complément du nom :
D'une prison sur moi les murs pèsent en vain. (Chénier)

3. Le complément indirect du verbe :
Aux petits des oiseaux Dieu donne leur pâture. (Racine)

4. Les compléments circonstanciels :
De sa tremblante main sont tombés les fuseaux. (Voltaire)

5. Les adverbes :
Quelques crimes toujours précèdent les grands crimes. (Racine)

La plupart des autres inversions doivent en principe être évitées:

Et si quelque bonheur nos armes accompagne. (Racine)

Aucun nombre, dit-il, les mondes ne limite. (La Fontaine)


les licences poétiques


La sévérité des règles peut justifier les libertés qu'on a laissé prendre aux poètes avec l'orthographe et la syntaxe.
Tous les poètes ont toujours écrit indifféremment encore et encor, et c'est même cette dernière orthographe qui semble prévaloir dans le style poétique.
Ils écrivent aussi, avec ou sans s, jusque ou jusques:

Sion, jusques au ciel élevée autrefois.
Jusqu'aux enfers maintenant abaissée (Racine),

certe ou certes, guère ou guères, naguère ou naguères, grâce à ou grâces à, remord ou remords, zéphyr ou zéphyre.
Ils ont écrit également sans s, si besoin était, un certain nombre de noms propres, tels que : Charle, Arle, Athène, Versaille, Londre, Thèbe.
Ils supprimaient également l's de la première personne de certains verbes, comme : je voi, je croi, je doi etc.
Cette licence, employée surtout au XVIIe siècle, a cependant servi encore à Victor Hugo. On lit, dans Booz endormi :

Le chiffre de mes ans a passé quatre-vingt.


la langue poétique


Le classicisme prétendait éliminer du vocabulaire poétique les termes jugés trop vulgaires; mais il n'y a plus aujourd'hui de mots poétiques, pas plus qu'il n'y a de style noble ou roturier; il n'y a que de bons ou de mauvais poètes, qui savent, ou non, tirer parti des mots qu'ils emploient, depuis le jour où Hugo a écrit :

J'appelai le cochon par son nom, pourquoi pas?
J'ai dit au long fruit d'or : Mais tu n'es qu'une poire!


À moins d'une volonté parodique ou d'un désir nostalgique (post-moderne) il ne viendrait plus, en effet, à la pensée d'aucun poète d'écrire : l'airain et le bronze pour le canon et la cloche, le coursier pour le cheval, le glaive pour l'épée, la flamme pour l'amour, etc.

les effets allitératifs et les cacophonies


L'harmonie est fondée tout entière sur un heureux choix de mots qui ne relève guère que du talent et de l'oreille du poète.
On peut dire, cependant, que la cacophonie tient la plupart du temps à l'emploi de syllabes nasales ou gutturales, répétées dans un espace trop court Le type du genre cacophonique est dans ces vers malheureusement célèbres de Voltaire :

En avez-vous jugé Manco Capac capable
Non, il n'est rien que Nanine n'honore.


Il est aussi dans certains vers dont le sens prête à l'équivoque comme dans celui-ci, de J.-B. Rousseau:

Vierge non encor née en qui tout doit renaître.


Pourtant. la répétition des mêmes syllabes ou des mêmes consonnes, ce que l'on appelle allitération, prête à des effets heureux d'harmonie imitative. C'est ainsi que Racine amasse à dessein les s dans ce vers célèbre:

Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes?
que Lamartine groupe habilement les s, les l et les r dans ceux-ci:
Sur la plage sonore où la mer de Sorrente
Déroule ses flots bleus au pied de l'oranger;
et Hugo les f dans ces autres:
Un frais parfum sortait des touffes d'asphodèle.
Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala.


Souvent, l'harmonie est à la fois imitative et figurative, c'est-à-dire qu'elle donne l'impression de la rapidité ou de la lenteur, grâce aux rejets, aux coupes diverses, qui allongent ou raccourcissent le vers, en même temps qu'elle imite les sons grâce aux allitérations ou aux assonances.
La Fontaine en donne de nombreux exemples :

... Il entassait toujours;
Il passait les nuits et les jours
A compter, calculer, supputer sans relâche.
Calculant, supputant, comptant comme à la tâche.
Le Thésauriseur et le Singe
Dans un chemin montant. sablonneux. malaisé,
Et de tous les côtés au soleil exposé,
Six forts chevaux tiraient un coche.
Femmes, moine, vieillards, tout était descendu :
L'attelage suait, soufflait, était rendu.
Le Coche et la Mouche

Victor Hugo a su donner une impression de lenteur majestueuse et de mystère:

Les grands chars gémissants qui reviennent le soir...
Sombre comme toi, nuit; vieux comme vous, grands chênes!...

Quant à Verlaine, sa poésie "musicale " abonde en strophes mélodieuses, où le rythme et la sonorité semble dans une certaine perspective s'accorder aux sentiments:

Les sanglots longs
Des violons
De l'automne
Blessent mon coeur
D'une langueur
Monotone.

les différentes mesures de vers


Les différentes mesures de vers n'ont pas connu toujours le même succès au cours de l'histoire de la poésie française : les vers de mesure paire (6, 8, 10, 12 syllabes) ont été à peu près les seuls employés jusqu'aux révolutions poétiques du XIXe siècle.

Le vers le plus long de la poésie classique française est le vers de douze syllabes ou alexandrin, ainsi nommé à cause du Roman d'Alexandre, poème composé au XIIe siècle, en vers de ce genre. On peut aussi l'appeler dodécasyllabe.

Il y a le vers de onze syllabes (ou endécasyllable ):

Les sylves légers s'en vont dans la nuit brune. (Banville)

Le vers de dix syllabes (ou décasyllabe):

Tout va sous terre et rentre dans le jeu (Valéry)


Le décasyllabe est sans doute le vers qui a eu le rôle littéraire le plus considérable. C'est le vers de la Chanson de Roland; c'est, avec quelques transformations, le vers de Dante, de Pétrarque, de l'Arioste, du Tasse. d'Alfieri. de Leopardi; celui de Camoëns; celui de Chaucer. de Spenser, de Shakespeare, de Milton, de Pope, de Byron. de Shelley. de Tennyson; celui de Lessing, de Goethe et de Schiller.

Le vers de neuf syllabes (ou ennasyllabe):

Tournez, tournez, bons chevaux de bois. (Verlaine)


Le vers de huit syllabes (ou octosyllabe):

    L'amour est mort j'en suis tremblant
    J'adore de belles idoles
    Les souvenirs lui ressemblant
    Comme la femme de Mausole
    Je reste fidèle et dolent. (Apollinaire)


Le vers de sept syllabes (ou heptasyllabe):

    Marquise, si mon visage
    A quelques traits un peu vieux,
    Souvenez-vous qu'a mon âge
    Vous ne vaudrez guère mieux. (Corneille)


Le vers de six syllabes (ou hexasyllabe):

    L'arbre, libre volière,
    Est plein d'heureuses voix;
    Dans les pousses du lierre
    Le chevreau fait son choix. (Hugo)


Le vers de cinq syllabes (ou pentasyllabe):

    Le soir qui s'épanche
    D'en haut sur les prés
    Du coteau qui penche
    Descend par degrés;
    Sur le vert plus sombre,
    Chaque arbre à son tour
    Couche sa grande ombre
    À la fin du jour. (Lamartine)


Le vers de quatre syllabes (ou tétrasyllabe) :

    Dans l'herbe noire
    Les Kobolds vont.
    Le vent profond
    Pleure, on veut croire. (Verlaine)


Le vers de trois syllabes (ou trisyllabe):

    Par Saint-Gilles,
    Viens-nous-en,
    Mon agile
    Alezan. (Hugo)


Le vers de deux syllabes (ou disyllabe):

    On doute
    La nuit.,
    J'écoute :
    Tout fuit,
    Tout passe.
    L'espace
    Efface
    Le bruit.
    (Hugo)


Voici, en vers d'une syllabe (ou monosyllabe), le fameux sonnet de Jules de Rességuier :

    Fort
    Belle,
    Elle
    Dort;
    Sort
    Frêle!
    Quelle
    Mort!
    Rose
    Close,
    La
    Brise
    L'a
    Prise.


Certains poètes ont employé parfois des vers de plus de douze syllabes. On cite des vers de treize syllabes (ou tridécasyllabes):

    Jetons nos chapeaux, et nous coiffons de nos serviettes,
    Et tambourinons de nos couteaux sur nos assiettes. (Scarron)

    À demi couché sur le dos nu d'un éléphant. (Banville)

    Dans l'ombre autour de moi vibrent des frissons d'amour. (Richepin)


Des poètes ont essayé des vers de quinze syllabes et davantage en les appelant parfois versets ; mais notre oreille a quelque peine à y discerner une unité rythmique, et elle les coupe spontanément en vers plus petits.

vers libres classiques - vers libres modernes


Dans la poésie classique, on appelle vers libres des vers où, pourvu que soit observée l'alternance des rimes masculines et féminines, et que chaque vers pris à part obéisse à ses lois propres, tous les mélanges, toutes les combinaisons sont possibles.
C'est le vers de La Fontaine dans ses Fables, de Molière dans l'Amphitryon.
Par sa liberté même, il est d'un maniement fort délicat et suppose un sentiment subtil du rythme.

Le vers libre moderne s'est, lui, peu à peu libéré de toute espèce de règles traditionnelles.

Il paraît s'être constitué vers 1880, à la suite des recherches rythmiques de Gustave Kahn et de Marie Kryzinska; mais on pourrait peut-être en voir la première origine dans deux poèmes en prose de Baudelaire.
Deux poèmes de Rimbaud (Marine, Mouvement), en 1886, se rattachent au "verlibrisme " La nouvelle espèce de vers fut adoptée par Laforgue, Henri de Régnier, Verhaeren, Moréas, mais plusieurs d'entre eux sont revenus au vers régulier, tandis que d'autres cherchent à "purifier " la poésie en la soustrayant à toutes les servitudes de la rhétorique, de la rime et même de la syntaxe. Chez P. Fort, P. Claudel, G. Apollinaire, P. Éluard, rien apparemment des règles anciennes ne vient plus gêner le rythme de l'inspiration poétique.

Les strophes


La strophe, dite aussi stance, est la division régulière d'un poème, comprenant un certain nombre de vers soumis à un rythme déterminé.

On en distingue plusieurs sortes.


- La strophe de deux vers, ou distique, composée de deux vers à rime plate, forme un sens complet.
Voici le début des Géorgiques chrétiennes de Francis Jammes, poème en sept chants, tout entier écrit en distiques:

    Des anges moissonnaient à l'heure où bout la ruche.
    On voyait sous un arbre et dans l'herbe leur cruche.

    On eût dit que le del aspirait de l'amour
    Au-dessus des épis débordant le labour.

    De temps en temps l'un de ces anges touchait terre
    Et buvait à la cruche une gorgée d'eau claire.


On désigne sous le nom d'ïambes des vers, d'inspiration généralement satirique, constitués par la succession constante, à rimes croisées, d'un dodécasyllabe et d'un octosyllabe:

La strophe de trois vers, ou tercet, est le rythme qu'a employé Dante dans la Divine Comédie, et qu'on appelle terza rima (a b a, b c b, c d c, etc.):

    O fatigue de vivre! encore une journée
    Qui recommence! Encore une étape à fournir!
    Cette route ne sera jamais terminée!

    Le passé me prédit quel sera l'avenir.
    L'aube amenant midi, midi le crépuscule,
    Dans l'aube blanche, on voit déjà le ciel jaunir.

    Marcher, toujours marcher vers, un ,but qui recule,
    Le poursuivre, en sachant qu on n y doit pas toucher.
    Quel supplice, à la fois atroce et ridicule!

    Mais songe aux pieds des morts, las de ne plus marcher. (Richepin)


La strophe de quatre vers (quatrain) est la strophe qui admet le plus de combinaisons, et on la fait avec des vers de toute longueur:

    J'ai longtemps habité sous de vastes portiques
    Que les soleils marins teignaient de mille feux
    Et que leurs grands piliers, droits et majestueux,
    Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques. (Baudelaire)


La strophe de cinq vers (quintil) est faite au moyen d'une rime redoublée:

    Hélas! que j'en ai vu mourir de jeunes filles!
    C'est le destin : il faut une proie au trépas,
    il faut que l'herbe tombe au tranchant des faucilles;
    Il faut que dans le bal les folâtres quadrilles
    Foulent des roses sous leurs pas. (Hugo)


La strophe de six vers (sixain) peut se présenter ainsi:

    Ce toit tranquille, où marchent des colombes,
    Entre les pins palpite, entre les tombes;
    Midi le juste y compose de feux
    La mer, la mer toujours recommencée!
    O récompense après une pensée
    Qu'un long regard sur le calme des dieux! (Valéry)


Dans la strophe de six vers, il arrive souvent que le troisième et le sixième vers riment ensemble et sont plus courts que les autres:

    Lorsque du Créateur la parole féconde
    Dans une heure fatale eut engendré le monde
    Des germes du chaos,
    De son oeuvre imparfaite il détourna sa face
    Et d'un pied dédaigneux la lançant dans l'espace,
    Rentra dans son repos. (Lamartine)


Ronsard et les poètes de la Pléiade ont employé un autre type de strophe, sur ce rythme original:

    Bel aubépin verdissant,
    Fleurissant
    Le long de ce beau rivage,
    Tu es vêtu jusqu'en bas
    Des longs bras
    D'une lambruche sauvage. (Ronsard)


La strophe de sept vers (septain) a rarement été employée, excepté par Vigny, qui s'en sert couramment dans les Destinées :

    Le crépuscule ami s'endort dans la vallée,
    Sur l'herbe d'émeraude et sur l'or du gazon.
    Sous les timides joncs de la source isolée
    Et sous le bois rêveur qui tremble à l'horizon;
    Se balance en fuyant dans les grappes sauvages,
    Jette son manteau gris sur le bord des rivages,
    Et des fleurs de la nuit entrouvre la prison. (Vigny)


De la strophe de huit vers (huitain), nous citerons cette combinaison :

    Que j'aime à voir, dans les vesprées
    Empourprées.
    Jaillir en veines diaprées
    Les rosaces d'or des couvents!
    Oh! que j'aime aux voûtes gothiques
    Des portiques
    Les vieux Saints de pierre athlétiques
    Priant tout bas pour les vivants! (Musset)


La strophe de neuf vers (neuvain) est assez rare. Hugo a employé cette combinaison:

    Et les champs, et les prés, le lac, la fleur, la plaine,
    Les nuages pareils à des flocons de laine,
    L'eau qui fait frissonner l'algue et les goémons,
    Et l'énorme océan, hydre aux écailles vertes,
    Les forêts de rumeurs couvertes,
    Le phare sur les flots, l'étoile sur les monts,
    Me reconnaîtront bien et diront à voix basse :
    "C'est un esprit vengeur qui passe,
    Chassant devant lui les démons! "


La strophe de dix vers (dizain) est la grande strophe lyrique; elle ne se fait habituellement qu'en vers de huit syllabes:

    Apollon, à portes ouvertes,
    Laisse indifféremment cueillir
    Les belles feuilles toujours vertes
    Qui gardent les noms de vieillir.
    Mais l'art d'en faire des couronnes
    N'est pas su de toutes personnes,
    Et trois ou quatre seulement,
    Au nombre desquels on me range,
    Savent donner une louange
    Qui demeure éternellement. (Malherbe)


La strophe de douze vers (douzain) ne se fait habituellement qu'en vers de huit syllabes. C'est la plus longue strophe qui ait été employée:

    Non, l'avenir n'est à personne!
    Sire! l'avenir est à Dieu!
    A chaque fois que l'heure sonne,
    Tout ici bas nous dit adieu.
    L'avenir! l'avenir! mystère!
    Toutes les choses de la terre,
    Gloire, fortune militaire,
    Couronne éclatante des rois,
    Victoire aux ailes embrasées,
    Ambitions réalisées,
    Ne sont jamais sur nous posées
    Que comme l'oiseau sur nos toits! (Hugo)


Douze vers est une limite qui, dans le poème classique, n'est pas ordinairement dépassée; car au-delà, il n'est pas aisé de constituer une période rythmique. Toutefois, on trouve chez Ronsard des strophes de quatorze, quinze, seize, dix-buit, dix-neuf et vingt vers. André Chénier a employé la strophe de dix-neuf vers.

Comme le vers, la strophe a son unité rythmique accordée avec le sens, et se contente en général de deux ou trois mètres différents.

Une strophe est isométrique quand elle ne comporte que des vers d'un même nombre de syllabes, anisométrique quand elle contient des vers de longueurs différentes.

Les poèmes sont composés le plus souvent de strophes semblables par le nombre et la mesure du vers. Mais d'autres sont faites de strophes libres, ou, entre les deux, d'un système de strophes qui revient à diverses reprises sous la même forme.

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